De 1968 à 2016, les dernières semaines de campagne ont souvent été marquées par des boules puantes, la sortie de cadavres oubliés dans des placards ou la survenue d’un événement qui vient bouleverser le cours du scrutin.
Le Monde.fr avec AFP | • Mis à jour le | Par Pierre Bouvier
A chaque élection présidentielle américaine, le dernier mois de la campagne est celui de tous les dangers, celui de la « surprise d’octobre ». Celle-ci se caractérise par un lâcher de boules puantes, la sortie de cadavres oubliés dans des placards ou la survenue d’un événement lié au hasard, ou délibérément orchestré, qui vient bouleverser le cours de l’élection.
La campagne de 2016 n’échappe pas à cette règle. Pour Donald Trump, il n’y a pas eu une, mais une brochette de « surprises d’octobre ». Il y a l’embarras du choix : ses propos obscènes sur les femmes, des femmes qui ont décidé de sortir de l’anonymat pour l’accuser d’agression sexuelle, la révélation concernant les impôts qu’il ne paie pas, les débats télévisés où il n’a pas brillé, ses propos sur les élections truquées, les sondages annonçant sa déroute dans des Etats traditionnellement républicains. Dans les sondages, le navire Trump a tangué, mais il n’a pas coulé, loin s’en faut, tant le candidat semble équipé d’une armure en Téflon.Pour Hillary Clinton, octobre s’annonçait prometteur : elle a réussi à s’imposer dans les débats face à Donald Trump, les révélations WikiLeaks n’ont pas influencé les sondages qui lui prédisent la victoire.
Jusqu’à l’annonce, vendredi 28 octobre, par James Comey, le directeur du FBI, que l’agence fédérale allait rouvrir le dossier classé de la messagerie privée d’Hillary Clinton, après la découverte de nouveaux messages sur un ordinateur portable d’Huma Abedin – proche conseillère de la démocrate – et de son mari Anthony Weiner (dont elle s’est séparée) fait l’objet d’une enquête distincte pour l’envoi de messages à caractère sexuel à une mineure.
1968, 1980, 2000… : à chaque élection, ou presque, sa surprise
La « surprise d’octobre » ne date pas de cette année. C’est devenu une tradition dans l’élection présidentielle américaine.L’expression est attribuée à William Casey, un assistant de Richard Nixon, candidat républicain opposé au vice-président démocrate Hubert Humphrey en 1968. Dans l’esprit de William Casey, la « surprise » aurait pris la forme d’un accord de paix négocié à la dernière minute avec le Nord-Vietnam, afin d’aider Hubert Humphrey à remporter l’élection. Richard Nixon torpilla cette initiative en promettant un support accru de la part des Etats-Unis au régime sud-vietnamien et remporta l’élection.
La « surprise » fit un retour lors de l’élection de Ronald Reagan en 1980. Le candidat républicain craignait une opération de dernière minute permettant la libération des 52 otages américains retenus à l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran. L’Iran annonça, quelques jours avant le début du vote, que les otages seraient libérés après l’élection. Ils le furent quelques instants après que Ronald Reagan prêta serment, le 20 janvier 1981, ce qui alimenta les spéculations sur un accord secret.
Vingt ans plus tard, lors de l’élection de 2000 entre George W. Bush et Al Gore, Fox News rappela que, vingt-quatre ans plus tôt, le candidat républicain avait été arrêté dans le Maine alors qu’il conduisait « sous l’influence de l’alcool ». Karl Rove, le stratège de George W. Bush, estime que cette révélation « surprise » fit perdre cinq Etats au républicain et contribua au résultat serré qui nécessita éventuellement un recomptage en Floride.
En 2004, Oussama Ben Laden joua un rôle dans la campagne avec une vidéo dans laquelle il revendiquait le 11-Septembre et présentait le président George W. Bush comme son ennemi… renforçant au passage la stature du candidat républicain et facilitant son élection.
En 2012, la surprise eut lieu, une fois n’est pas coutume, en septembre, avec la diffusion de plusieurs vidéos dans lesquelles Mitt Romney, le candidat républicain, tenait des propos particulièrement durs contre les « 47 % d’assistés qui soutiennent Barack Obama, parce qu’ils dépendent de l’aide de l’Etat fédéral ». Cette vidéo est devenue un argument de campagne pour Barack Obama dans les swing states, le président sortant affirmant que lorsqu’on veut être élu président, on travaille pour tous les Américains, pas que pour quelques-uns. Quelques mois après sa défaite, Mitt Romney a reconnu que la vidéo avait passablement nui à sa campagne.
Pour Hillary Clinton et Donald Trump, il reste à évaluer l’impact de cette nouvelle investigation par le FBI. Le sondage ABC-Washington Post publié samedi montrait déjà un resserrement entre les deux candidats : la démocrate recueillant 47 % des intentions de vote contre 45 % pour Donald Trump, contre une avance de 12 points dans le même sondage pour la candidate, la semaine dernière.