Spiati dal telefonino

ITALIE Record d'Europe des écoutes téléphoniques
250 000 Italiens espionnés chaque année

Rome : Richard Heuzé
[23 février 2005]

Ne parlez pas de langoustes ou d'olives sur vos téléphones italiens ! La police pourrait croire à un langage codé et ouvrira une enquête. C'est la mésaventure survenue à des magistrats et à des hommes politiques de premier plan, dans ce qui s'avère être la plus vaste affaire d'écoutes téléphoniques. L'affaire a été dévoilée par la compagnie du téléphone portable Tim. Dans une lettre au ministère de la Justice, cette société, qui fait partie du groupe de télécommunications Telecom Italia, fait valoir que les lignes de crédit destinées aux interceptions téléphoniques ont été épuisées. La lettre révèle non seulement l'ampleur du phénomène, mais aussi sa croissance exponentielle au cours des dernières années. Les téléphones de 12 000 à 13 000 personnes sont placés chaque jour sous contrôle judiciaire, à raison d'un maximum de quinze jours toléré par la loi. Chaque année, quelque 250 000 personnes seraient écoutées. De quoi faire pâlir de jalousie la «cellule de l'Élysée» qui avait espionné cent cinquante journalistes, politiciens et vedettes du spectacle pendant trois ans sous François Mitterrand.


Ni la sécurité nationale, ni la lutte contre le terrorisme italien ou étranger, ni même les grandes affaires de mafia et de corruption ne suffisent à justifier cette prolifération. Officiellement la Tim met 5 000 lignes par jour à la disposition de la justice. Ses concurrents en font autant. Le législateur impose d'obtenir la signature d'un magistrat au bas de chaque demande. Si l'on en croit des opérateurs du secteur, le numéro de téléphone du suspect est souvent laissé en blanc. A charge pour la police de compléter le formulaire.


L'an dernier, la justice italienne a déboursé 2,6 milliards d'euros en interceptions téléphoniques. C'est pourtant insuffisant, comme en témoigne une lettre envoyée au ministre de la Justice et pour copie à ceux de l'Économie et des Télécommunications. Son auteur, Pietro Guindani, président de l'association Astel des opérateurs du téléphone, fait valoir que les impayés de l'administration s'élè- vent à 200 millions d'euros. Il réclame une rencontre «urgente» pour «ne pas compromettre la gestion des demandes provenant des parquets». Autrement dit : pour ne pas suspendre les services d'interception et de décryptage, techniquement exécutés par les opérateurs, sous couvert du secret judiciaire.


Ces écoutes donnent parfois de bons résultats. Elles ont permis de démanteler plusieurs cellules d'al-Qaida en Italie. D'autres fois cependant, elles sont à l'origine de mésaventures sans fin. Du temps où il était ministre de l'Intérieur, l'ancien chef d'État démocrate-chrétien Francesco Cossiga était écouté parce qu'il était cousin du leader communiste Enrico Berlinguer. Du temps de la guerre froide, le leader communiste Armando Cossutta se savait espionné par «au moins douze services secrets, de l'Est comme de l'Ouest». Quant à un député sicilien de la majorité qui enquêtait récemment sur un scandale en Serbie, il s'est vu accuser de participer à un pseudo-trafic international de stupéfiants à la suite d'un échange banal de mots au téléphone.

http://www.lefigaro.fr/international/20050223.FIG0045.html